BROGLIE (Louis de). Correspondance de 5 lettres (4 autographes signées et une autographe), adressées au médecin, psychanalyste et écrivain André Berge. [Années 1920]-1973. S.l., « mardi 24 » : « ... Je crains du reste que vous ne soyez, come je l'ai été et le suis, toujours assez mécontent de votre sort quelqu'il soit. C'est là une infirmité qui est naturelle aux gens qui pensent et réfléchissent. Notre bon maître Anatole France ne dit-il pas quelque part que la pensée est une maladie qui ne s'étendrait pas sans amener rapidement la fin de l'espèce... Quelle profonde erreur ! L'immense majorité des gens n'a jamais réfléchi à rien en dehors de ce qui les intéresse immédiatement. Au fond, ce sont les imbéciles qui ont raison. Comme le disait si bien la sagesse antique, "Primum vivere, deinde non philosophari", seulement il faut pouvoir et il y a quelques malheureux qui ne peuvent pas s'en empêcher... Je continue des méditations de toutes sortes, lis Renan ou Flaubert... Ave, Louis de Broglie, doctor subtilis. » (4 pp. in-12 carré). — • S.l.,« 6 décembre » [1924]. « ... Je t'ai envoyé ma thèse et je pense que tu l'as bien reçue. La soutenance s'est fort bien passée et J'AI EU UNE BRILLANTE DISCUSSION AVEC Mr [PAUL] LANGEVIN QUI A COMPARE MES IDEES SUR LES QUANTA A L'IDEE HEGELIENNE DE L'IDENTITE DES CONTRADICTOIRES. J'ai été reçu avec la meilleure mention ; je crois d'ailleurs qu'on l'a toujours... J'espère te revoir bientôt, et en attendant je vais retourner à mes petits quanta. Peut-être avant de te revoir, m'auront-ils avoué leur dernier secret et serai-je arrivé à la connaissance de l'Absolu, du Vrai et du Beau, laissant de côté le Bien qui m'a toujours paru un peu ennuyeux... » (3 pp. 3/4 in-8 carré). — • Neuilly-sur-Seine, 26 juillet 1930. « ... Tu te plains de ce que la nature emploie son libre arbitre à bouleverser l'ordre des saisons et à transformer le mois de juillet en un mois froid et pluvieux. Mais, mon pauvre ami, a-t-on une autre manière d'affirmer son libre arbitre que de faire le contraire de ce qu'exigerait la règle, la Loi. Si l'on emploie son libre arbitre à exécuter la Loi, comment peut-on savoir si c'est le libre arbitre qui se conforme à la Loi ou la Loi qui s'exécute inéluctablement en écrasant le libre arbitre. IL N'Y A EN SOMME QUE LA REVOLTE CONTRE LES LOIS QUI PERMETTE A LA LIBERTE DE S'AFFIRMER... Comme il est agréable d'écrire cela quand on est confortablement assis dans un bon fauteuil avec son fidèle chien Tommy assis à ses pieds. Par parenthèse, j'observerai que contrairement à la doctrine de certains philosophes et même peut-être à celle de notre Sainte Mère l'Église, Tommy a certainement un libre arbitre car il me désobéit très souvent. LES PHYSICIENS, GENS D'UN ESPRIT OBTUS, ONT FINI PAR S'APERCEVOIR QUE LA LOI EST SEULEMENT UNE SORTE D'IDEAL AUQUEL LA REALITE N'EST PAS TENUE DE SE CONFORMER... » (4 pp. in-12 carré). — • Paris, 19 août 1973. « ... J'ai reçu avec émotion ton affectueuse lettre où tu évoques les souvenirs du temps où je vous ai connus, ton frère et toi, à la fin de la guerre de 1914... Mon activité intellectuelle est restée très grande et je veux te donner quelques précisions à ce sujet. J'AI DECOUVERT LES PRINCIPES DE LA MECANIQUE ONDULATOIRE EN 1923-1924. Mes idées ayant été bientôt confirmées par l'expérience, j'ai reçu le prix Nobel en 1929. Mais alors s'est produit quelque chose de fort curieux. DES JEUNES GENS TRES INTELLIGENTS, MAIS BEAUCOUP PLUS MATHEMATICIENS QUE MOI, ONT BATI UNE THEORIE PLUS ABSTRAITE QUE LA MIENNE ET QUI, BIEN QUE CONDUISANT A DES RESULTATS TRES EXACTS, DIFFERAIT PROFONDEMENT DE MES IDEES PRIMITIVES. C'EST CETTE FORME DE THEORIE QUE L'ON ENSEIGNE SOUS LE NOM DE MECANIQUE QUANTIQUE et que je me suis longtemps moi-même résigné à enseigner. Il y a environ vingt ans, après de longues hésitations, je me suis décidé, tout en respectant les résultats exacts de la Mécanique quantique, à les réinterpréter d'une façon plus profonde en revenant à mes idées init
BROGLIE (Louis de). Correspondance de 5 lettres (4 autographes signées et une autographe), adressées au médecin, psychanalyste et écrivain André Berge. [Années 1920]-1973. S.l., « mardi 24 » : « ... Je crains du reste que vous ne soyez, come je l'ai été et le suis, toujours assez mécontent de votre sort quelqu'il soit. C'est là une infirmité qui est naturelle aux gens qui pensent et réfléchissent. Notre bon maître Anatole France ne dit-il pas quelque part que la pensée est une maladie qui ne s'étendrait pas sans amener rapidement la fin de l'espèce... Quelle profonde erreur ! L'immense majorité des gens n'a jamais réfléchi à rien en dehors de ce qui les intéresse immédiatement. Au fond, ce sont les imbéciles qui ont raison. Comme le disait si bien la sagesse antique, "Primum vivere, deinde non philosophari", seulement il faut pouvoir et il y a quelques malheureux qui ne peuvent pas s'en empêcher... Je continue des méditations de toutes sortes, lis Renan ou Flaubert... Ave, Louis de Broglie, doctor subtilis. » (4 pp. in-12 carré). — • S.l.,« 6 décembre » [1924]. « ... Je t'ai envoyé ma thèse et je pense que tu l'as bien reçue. La soutenance s'est fort bien passée et J'AI EU UNE BRILLANTE DISCUSSION AVEC Mr [PAUL] LANGEVIN QUI A COMPARE MES IDEES SUR LES QUANTA A L'IDEE HEGELIENNE DE L'IDENTITE DES CONTRADICTOIRES. J'ai été reçu avec la meilleure mention ; je crois d'ailleurs qu'on l'a toujours... J'espère te revoir bientôt, et en attendant je vais retourner à mes petits quanta. Peut-être avant de te revoir, m'auront-ils avoué leur dernier secret et serai-je arrivé à la connaissance de l'Absolu, du Vrai et du Beau, laissant de côté le Bien qui m'a toujours paru un peu ennuyeux... » (3 pp. 3/4 in-8 carré). — • Neuilly-sur-Seine, 26 juillet 1930. « ... Tu te plains de ce que la nature emploie son libre arbitre à bouleverser l'ordre des saisons et à transformer le mois de juillet en un mois froid et pluvieux. Mais, mon pauvre ami, a-t-on une autre manière d'affirmer son libre arbitre que de faire le contraire de ce qu'exigerait la règle, la Loi. Si l'on emploie son libre arbitre à exécuter la Loi, comment peut-on savoir si c'est le libre arbitre qui se conforme à la Loi ou la Loi qui s'exécute inéluctablement en écrasant le libre arbitre. IL N'Y A EN SOMME QUE LA REVOLTE CONTRE LES LOIS QUI PERMETTE A LA LIBERTE DE S'AFFIRMER... Comme il est agréable d'écrire cela quand on est confortablement assis dans un bon fauteuil avec son fidèle chien Tommy assis à ses pieds. Par parenthèse, j'observerai que contrairement à la doctrine de certains philosophes et même peut-être à celle de notre Sainte Mère l'Église, Tommy a certainement un libre arbitre car il me désobéit très souvent. LES PHYSICIENS, GENS D'UN ESPRIT OBTUS, ONT FINI PAR S'APERCEVOIR QUE LA LOI EST SEULEMENT UNE SORTE D'IDEAL AUQUEL LA REALITE N'EST PAS TENUE DE SE CONFORMER... » (4 pp. in-12 carré). — • Paris, 19 août 1973. « ... J'ai reçu avec émotion ton affectueuse lettre où tu évoques les souvenirs du temps où je vous ai connus, ton frère et toi, à la fin de la guerre de 1914... Mon activité intellectuelle est restée très grande et je veux te donner quelques précisions à ce sujet. J'AI DECOUVERT LES PRINCIPES DE LA MECANIQUE ONDULATOIRE EN 1923-1924. Mes idées ayant été bientôt confirmées par l'expérience, j'ai reçu le prix Nobel en 1929. Mais alors s'est produit quelque chose de fort curieux. DES JEUNES GENS TRES INTELLIGENTS, MAIS BEAUCOUP PLUS MATHEMATICIENS QUE MOI, ONT BATI UNE THEORIE PLUS ABSTRAITE QUE LA MIENNE ET QUI, BIEN QUE CONDUISANT A DES RESULTATS TRES EXACTS, DIFFERAIT PROFONDEMENT DE MES IDEES PRIMITIVES. C'EST CETTE FORME DE THEORIE QUE L'ON ENSEIGNE SOUS LE NOM DE MECANIQUE QUANTIQUE et que je me suis longtemps moi-même résigné à enseigner. Il y a environ vingt ans, après de longues hésitations, je me suis décidé, tout en respectant les résultats exacts de la Mécanique quantique, à les réinterpréter d'une façon plus profonde en revenant à mes idées init
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